1er mai

0 commentaires

Macron et Rutte : intergouvernementalisme 2.0

Par Leo Klinkers

1er mai 2019


Début 2019, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a mis de côté son aversion pour l'Union européenne. Il n'affirme plus que Bruxelles devrait cesser de prendre de plus en plus de pouvoir. Dans sa "conférence Churchill" (Zurich, 13 février 2019), il plaide pour que le Conseil européen ait plus de pouvoirs pour parler d'une seule voix. Il s'agissait de sa troisième conférence pro-européenne en quelques mois. Des conférences à Berlin et à Strasbourg l'ont précédé en 2018.

Le Premier ministre néerlandais commence par rendre hommage à Churchill, mais ne dit pas un mot sur l'essence de sa conférence de septembre 1946. Churchill a ensuite souligné avec insistance la nécessité pour les pays du continent européen de créer les États-Unis fédéraux d'Europe. Rutte n'en parle pas. Le mot "fédération" n'apparaît pas dans sa conférence. Ni même le concept d'"intergouvernementalisme". En revanche, il parle de "multilatéralisme" pour exprimer sa volonté de perpétuer le système intergouvernemental actuel de l'UE.

Pour mémoire, je voudrais décrire deux concepts clés :

  • L'intergouvernementalisme est une coopération politique entre gouvernements - fondée sur un traité ou un accord - dans laquelle des pouvoirs normatifs sont conférés à des administrateurs sans qu'ils aient à rendre compte de l'exercice de ces pouvoirs à un parlement élu au niveau transnational ;
  • Une fédération est basée sur une constitution du peuple des États membres, où la séparation verticale des pouvoirs conduit à une souveraineté partagée entre les États membres et un organe fédéral. Cet organe prend en charge un nombre limité d'intérêts communs que les États membres ne peuvent pas (ou plus) prendre en charge seuls. Les États membres ne perdent pas leur souveraineté et bénéficient de certains avantages, dont la prise en charge des intérêts communs.

Le fil conducteur du discours de M. Rutte est le suivant : fini la naïveté du "soft power" des principes et des valeurs, place au "hard power" de la realpolitik à la recherche du pouvoir, sans avoir peur d'acquérir ce pouvoir par des politiques commerciales inflexibles afin d'aligner la géopolitique de l'UE sur celle de la Chine et des États-Unis. Sous la garde de l'Amérique, l'Europe, selon M. Rutte, s'est trop longtemps réfugiée dans un soft power auto-satisfait.

Bien qu'il défende des valeurs telles que la démocratie et les droits de l'homme, il est prêt à acquérir ce pouvoir, si nécessaire, par des batailles de rue féroces. Dans l'ensemble, M. Rutte parle désormais de "l'Europe d'abord". Selon lui, cet objectif ne peut être atteint qu'en permettant à la partie administrative de "Bruxelles" de prendre position à la fois à l'extérieur (c'est-à-dire sur le plan géopolitique) et à l'intérieur (c'est-à-dire dans le système multilatéral des États membres). Plus de pouvoir de décision pour les administrateurs de l'UE à l'extérieur et à l'intérieur, voilà ce dont il s'agit.

Selon lui, ce pouvoir de décision devrait être obtenu en échangeant le principe de l'unanimité pour la prise de décision au Conseil européen sur des questions spécifiques, telles que l'imposition de sanctions à d'autres pays (Russie, Syrie et Iran), contre un principe de majorité. Cela signifie que les décisions du Conseil européen administratif doivent être prises à la majorité des voix et non à l'unanimité, le veto de l'un des États membres pouvant bloquer le processus décisionnel.

Rien ne s'oppose à l'abolition du principe de l'unanimité au sein du Conseil européen. Il s'agit d'un mode de prise de décision retardé car, sous la menace d'un veto, les votes sont échangés dans le sens suivant : "si tu me soutiens sur cette question, alors je te soutiens sur ta question". S'en tenir au vote à l'unanimité est un instrument pour les chefs de gouvernement nationalistes, qui fonctionnent sur la base du protectionnisme. Ce n'est pas l'intérêt commun de l'ensemble, mais le contrôle préventif des dommages causés par sa propre nation qui détermine sa position dans le processus décisionnel.

Cependant, la proposition de M. Rutte de rompre avec le principe de l'unanimité n'est pas motivée par l'importance de dire adieu à un système décisionnel rétrograde, mais de concentrer davantage de pouvoir décisionnel entre les mains d'un petit nombre de membres du Conseil européen. Pour le comprendre, il faut revenir au discours de la Sorbonne prononcé par le président Emmanuel Macron en septembre 2017.

M. Macron a souligné la nécessité de reconstruire l'UE. Afin d'affiner et de relier six priorités politiques de l'UE, l'Union européenne pourrait enfin devenir une puissance sur la scène géopolitique. À cette fin, il a proposé une refondation de l'UE avec un groupe de représentants de chaque État membre, ainsi qu'un nouveau traité visant à renforcer la prise de décision au sommet du système européen, le Conseil européen. Mais n'importe quel bâtisseur peut vous dire que la fondation et la refondation doivent se faire à la base, à la base, et non au sommet. La seule forme pertinente de refondation consiste à échanger la base juridique de l'UE, à savoir le traité intergouvernemental de Lisbonne, contre une Constitution fédérale.

Les Pays-Bas sont membres d'environ 53 organisations intergouvernementales. Il n'y a aucun problème à devenir membre d'une organisation intergouvernementale sur la base d'un traité ou d'un accord. Mais dès que ces organisations ont des pouvoirs normatifs vis-à-vis des citoyens, la représentation démocratique de ces derniers doit être la mesure du jour. Ce n'est jamais le cas avec les systèmes de gouvernement intergouvernementaux.

L'argument se trouve toutefois dans l'instrument dont Macron a besoin pour acquérir un pouvoir et une influence à l'échelle mondiale dans ces six domaines d'action. Une lecture attentive montre que, selon Macron, la possibilité de bloquer la prise de décision au sein du Conseil européen doit être supprimée. Il affirme implicitement : "abolir le principe de l'unanimité au Conseil européen".

Un an et demi plus tard, Rutte dit explicitement : "brisons le principe d'unanimité". Sa conférence du 13 février 2019 est donc un prolongement de la conférence de Macron à la Sorbonne en septembre 2017. En échangeant le principe de l'unanimité contre un système majoritaire, tous deux veulent remettre le pouvoir administratif entre les mains de ceux qui possèdent déjà un pouvoir de direction, mais qui peuvent être entravés dans l'exécution de ce pouvoir par des collègues qui utilisent, ou menacent d'utiliser, leur droit de veto, bloquant ainsi le processus de prise de décision.

Pour éviter que vous ne pensiez que je fantasme, je vais vous donner quelques citations littérales du discours de Macron :

  • "Nous devons progresser sur tous nos grands défis, en accélérant le rythme et en fixant des objectifs plus élevés. Aucun État ne doit être exclu du processus, mais aucun pays ne doit pouvoirblocceux qui veulent progresser plus rapidement ou aller plus loin".
  • Permettez-moi de revenir à ce que Mario Monti et Sylvie Goulard ont proposé il y a quelques années : l'idée que celui qui veut le moins peut...". bloquer les autresest une hérésie. Nous devons accepter ces nombreuses différences et, comme à chaque moment clé de son histoire, l'Europe ira d'abord de l'avant par la détermination d'unpeu."
  • "De la même manière, nous ne devrions pas définir un club fermé pour ceux qui pourraient en faire partie, définissons la voie à suivre, la méthode, et tous ceux qui ont l'ambition, le désir et le pouvoir en feront partie, sans qu'il soit nécessaire d'en faire partie. blocageou l'arrêtles autres".

Mais il ne s'agit pas seulement d'une volonté de supprimer la possibilité de bloquer la prise de décision au sein du Conseil européen. Jetez encore un coup d'œil à grâce à la détermination de quelques-uns. Qu'est-ce que cela nous rappelle ? A Jean-Jacques Rousseau à la fin du 18ème siècle. Il expliquait qu'un parlement se comporte toujours comme une aristocratie élective, qui tend toujours vers une oligarchie.

Le Conseil européen est le contraire d'une représentation du peuple et fonctionne déjà comme une aristocratie en vertu du traité de Lisbonne. Il est dans la nature d'un tel organe de s'efforcer de concentrer le pouvoir administratif. Macron - qui a grandi dans la culture administrative centraliste typique de la France - souhaite qu'une avant-garde de quelques chefs de gouvernement, une oligarchie au sein du Conseil européen, fasse passer des décisions majoritaires au sein du Conseil.

Avant que vous ne me soupçonniez de théorie du complot, je voudrais attirer votre attention sur l'uniformité administrative d'individus comme Macron et Rutte. Ils sont "deux en un". L'un fait l'assistance et l'autre met le ballon dans le but parce qu'il est au bon endroit au bon moment. Ils font cela automatiquement, comme une unité à deux. C'est ainsi qu'ils sont constitués. Leur ADN, par définition, les oriente vers une fonction administrative. Pas vers celle de représentant du peuple. Et ils pensent même - sans doute sincèrement - qu'ils représentent le peuple en s'efforçant d'obtenir plus de pouvoir administratif pour un groupe plus restreint de décideurs. Au vu de ce qui se passe sur la base de la France insoumise, Macron devrait maintenant en savoir plus.

La "refondation" de l'UE envisagée par Macron en levant les blocages potentiels au sein du Conseil européen et soutenue par Rutte en remettant explicitement en cause le principe de l'unanimité, est un saut quantique qui a) place encore plus de pouvoir administratif intergouvernemental, b) encore plus en dehors du contrôle démocratique du Parlement européen. C'est la naissance de l'intergouvernementalisme 2.0.

A ce stade, je ne peux pas ignorer le jargon de la théorie des systèmes / de la nature cybernétique. Bien qu'il soit extrêmement court. Il s'agit ici d'un exemple de "rétroaction positive". L'erreur de base, à savoir l'introduction de l'intergouvernementalisme européen à partir de la CECA en 1951 au moyen d'une mauvaise relation objectifs-moyens, a progressivement créé plus de problèmes que de solutions. Les tentatives de réparation des problèmes résultant d'une erreur de système ne résolvent jamais rien, mais augmentent plutôt le nombre de problèmes, comme la série 2-4-8-16, etc. Alors que la "rétroaction négative" est le mécanisme universel de recherche d'objectifs par l'élimination systématique des écarts dans les processus de décision politique, la "rétroaction positive" entraîne un renforcement exponentiel de l'écart. Il est donc facile de prédire que l'augmentation des conflits internes conduira l'UE intergouvernementale à l'abîme.

La mise en œuvre de la prise de décision à la majorité au sein du Conseil européen, sans créer au préalable une base démocratique pour une constitution fédérale, constitue une telle augmentation du pouvoir administratif déjà illégitime du Conseil européen que ce système s'effondrera. Dans ce contexte, "illégitime" signifie : non conforme aux principes constitutionnels. C'est une recette pour les conflits au sein du Conseil européen, entre le Conseil européen et le Parlement européen et entre les États membres. Les pays qui ont des problèmes majeurs avec l'euro, d'autres pays qui s'opposent à l'immigration, d'autres encore qui ne veulent pas être corrigés s'ils violent le traité et d'autres accords ne voudront pas renoncer au principe de l'unanimité. Ne serait-ce que parce qu'un système de majorité - même s'il a été conçu par M. Rutte pour accélérer les sanctions contre les pays extérieurs à l'UE - peut également être utilisé contre eux s'ils ne respectent pas le traité de Lisbonne. Pensez non seulement aux États membres anti-immigration, mais aussi à ceux qui, sous la houlette des Pays-Bas, s'opposent à une fondation budgétaire dans le cadre de la zone euro. De cette manière, Rutte, avec son ambition de combattant de rue, organise son propre Waterloo.

Plus la division interne est grande, plus il est facile pour la droite nationaliste de s'emparer du pouvoir. À la page 45 du "Septième rapport sur le racisme, l'antisémitisme et la violence d'extrême droite aux Pays-Bas" (décembre 2018), l'Institut Verwey-Jonker mentionne une déclaration du membre du parlement néerlandais Thierry Baudet, affirmant que "... il serait préférable que nous soyons des dirigeants absolus. Dans le parlementarisme, il n'est pas possible de mettre en œuvre des changements politiques majeurs". Compte tenu de la montée de la droite nationaliste en Europe, nous devons supposer que cette vision est partagée dans d'autres pays. La République de Weimar nous a appris que le chemin d'un homme fort est pavé d'une mauvaise gouvernance antérieure. L'intergouvernementalisme 2.0 offre exactement la même image.

Je ne soupçonne pas Macron et Rutte de sympathies nationalistes de droite. Mais d'une méconnaissance coupable du fait qu'une Europe fédérale, basée sur une constitution fédérale et donc dotée d'un mandat démocratique, est la seule forme d'État avec laquelle ils peuvent réaliser leurs projets de promotion des intérêts européens communs.

{"email" : "Adresse électronique non valide", "url" : "Adresse du site Web non valide", "required" : "Champ obligatoire manquant"}.
fr_FRFrançais